Voici les deux premiers chapitres de Cortome Biotech Inc.
Cortome : une startup qui vous veut du bien ? Entrez dès maintenant dans les délires les plus fous de la Silicon Valley...
Bonjour à vous !
Je vous propose de découvrir dès maintenant les deux premiers chapitres du roman, bonne lecture.
Alex
Cortome Biotech, inc.
Par Alex Milnow
À ma formidable épouse,
acolyte, critique, coach et amie,
Laure.
Conscience (n,f) :
Perception que nous avons de notre existence,
des états et des actes de notre esprit,
de ce qui se passe en nous,
et de l’effet produit en nous par
ce qui se passe hors de nous.
— Dictionnaire de l’Académie Française
PREMIÈRE PARTIE:
LA GORGONE
CHAPITRE 1
Sortie 29 : Redwood City
Mardi, 8h21
Un contrôle routier, c’était comme jouer à la roulette. Tous les flics américains le savaient.
On pouvait aussi bien tomber sur une femme enceinte en train d’accoucher que sur un couple de personnes âgées désorientées, ou encore sur un dealer prêt à défendre son chargement à l’arme automatique.
Chaque fois qu’un policier émergeait de son cruiser et approchait dans le rétroviseur d’une voiture, il était à l’affût du moindre indice augurant de ce qui l’attendait, avec une inquiétude lancinante au fond du crâne : est-ce aujourd’hui que je prends une balle ?
En 2031, si on patrouillait sur les routes américaines, on se retrouvait vite au mauvais endroit, au mauvais moment.
Alors, si on patrouillait l’esprit ailleurs et la bouche pâteuse à cause d’une bonne cuite, comme Brad ce matin-là, on avait encore plus de chances que les choses dérapent.
Brad D. Gawayn était sergent dans la California Highway Patrol depuis dix-huit ans et avait déjà effectué plus de vingt-cinq mille traffic stops. Un chiffre dont il était fier. C’est presque autant de vies sauvées, disait-il parfois. Brad exagérait un peu. Une habitude qu’Eileen, sa femme, avait trouvée mignonne lorsqu’ils s’étaient rencontrés, qu’elle avait prise en grippe par la suite, pour finir par la détester, voire la craindre.
Brad savait bien que personne n’était dupe lorsqu’il se donnait de l’importance en manipulant la réalité. Mais il ne voyait pas le mal. Après tout, il œuvrait pour la patrie, pour la grandeur de l’Amérique, n’avait-il pas le droit d’enrober un peu l’implacable normalité de son existence ?
Si on l’écoutait, depuis le début de sa carrière, il avait saisi des dizaines de kilos de drogues, mis hors d’état de nuire des criminels violents, résolu d’innombrables conflits conjugaux et, dix ans auparavant, trouvé l’amour.
En réalité, ses prises dépassaient rarement la taille d’une bille ; l’homme le plus dangereux qu’il ait capturé lui-même était ivre mort et n’avait même pas été capable d’atteindre son arme, par ailleurs déchargée ; sa façon de résoudre les conflits consistait à enfermer arbitrairement l’un des protagonistes ; et l’amour qu’Eileen éprouvait pour lui avait duré un an tout au plus.
Alors qu’il s’avançait vers le passager du pickup Ford F-190 noir immatriculé au Nevada qu’il venait d’arrêter par ce matin chaud de juin, le policier ressassait intérieurement la violente dispute qui l’avait opposé à Eileen quelques heures plus tôt. Une sombre histoire de bol qu’il avait laissé traîner sur la table en partant, sans se donner la peine de le mettre dans la machine à laver. « Mais range-le, toi ! T’as que ça à foutre ! », avait-il répondu à son épouse qui le lui faisait remarquer. Elle l’avait pris de travers, allez savoir pourquoi, et le petit objet de faïence s’était transformé en projectile pour échouer sur le battant de la porte d’entrée, là où se trouvait la tête de Brad un instant auparavant.
Eileen était vraiment folle, pensait le policier en approchant de la vitre teintée qui se baissait lentement. Et puis, qu’avait-il dit de mal ? C’était pourtant bien vrai, qu’elle n’avait que ça à faire, elle qui avait perdu son job d’infirmière à cause d’une dépression, alors que lui était quand même aussi proche d’être un héros qu’humainement possible. D’ailleurs, à propos de quoi pouvait-elle déprimer, elle qui vivait avec un policier que le moindre passant remerciait pour son service à la communauté ? Parce qu’il n’était pas souvent à la maison, comme elle le lui reprochait tant ? Parce qu’ils ne discutaient plus ? Brad ne comprenait pas qu’elle fasse semblant de le découvrir. Il en parlait fréquemment à ses collègues autour d’une bière, et ils étaient unanimes. Pourquoi fallait-il que les femmes de flics trouvent leur job merveilleux lorsqu’ils se rencontraient, pour finir par critiquer leurs inévitables absences et silences quelques années plus tard ? Non, vraiment, Eileen était dingue.
L’esprit de Brad était totalement accaparé par sa rancœur. Et c’est la raison pour laquelle, oubliant les consignes de sécurité les plus basiques, il n’avait pas immédiatement dégainé son arme lorsque la portière de l’immense pickup sombre s’était entrouverte, ni même réagi quand le canon d’un AR-15 était apparu.
Quelques minutes plus tard, on le retrouva mourant, le nez dans la terre, baignant dans une tache de sable ensanglanté, sur le bord de l’interstate 280, près de la sortie 29 vers Redwood City ; et ses collègues n’eurent connaissance des événements ou de son état d’esprit que grâce à la caméra présente sur son véhicule, qui perçut les derniers mots que le policier prononçât jamais, en s’extrayant rageusement de l’habitacle : « Quand même, quelle chieuse. »
CHAPITRE 2
Cortome Biotech, Inc.
Mardi, 10h28
Lorsqu’Eileen arriva aux urgences du Sequoia Hospital de Redwood City, elle ne pleurait plus. En fait, elle n’avait pas beaucoup pleuré. C’était sans doute la raison pour laquelle le lieutenant Dunkan, qui était venu la chercher à son domicile, la regardait étrangement.
Lorsqu’elle l’avait découvert devant sa porte, droit comme un i, les mains nouées et les sourcils arqués en une expression désolée, elle avait compris immédiatement. Ses jambes s’étaient soudainement refusées à elle et le géant afro-américain l’avait attrapée au vol pour l’aider à s’asseoir sur le banc que protégeait le porche de sa bicoque de bois blanc. Il avait alors beaucoup parlé. De choses techniques, d’abord : où Brad avait été touché, comment c’était arrivé, l’état dans lequel on l’avait trouvé, le pronostic désastreux des médecins ; puis il s’était emporté, débordant de rage, évoquant les recherches en cours, la vengeance qui ne manquerait pas de venir, il le promettait, le jurait, même. Enfin, il avait parlé de Brad, d’esprit de service, de don de soi, de tout le bien que fait la police.
Il avait certainement remarqué qu’Eileen ne l’écoutait pas, mais ce n’était pas grave, il devait avoir préparé son discours, et peut-être n’était-il que trop heureux de le débiter au pas de charge, avant que la future veuve n’ait le temps de s’effondrer complètement.
Eileen était dans un autre monde, et la réalité dans laquelle son corps maigre encaissait les paroles du lieutenant lui semblait lointaine, cotonneuse comme un rêve. Il n’y avait pas de lueur dans son regard, pas plus que de mouvements dans ses membres.
Lorsque Dunkan finit par se taire, elle fut rappelée sur Terre par le vide qu’il avait laissé. Elle aperçut ce bel homme, la cinquantaine bien portée, aux yeux de miel et à la moustache rassurante, qui l’observait avec inquiétude. Alors seulement, elle s’était mise à pleurer.
Que pouvait-elle faire d’autre ? C’était la réaction qui était attendue de la part d’une femme de flic, à qui on fait l’annonce tant redoutée. Mais Eileen ne ressentait pas de peine, seulement un choc. La nouvelle l’avait frappée, plus sûrement qu’un coup de poing dans le ventre, nouant ses entrailles. Mais elle n’était pas triste, non. C’était autre chose, qui dominait son esprit, et tentait de se frayer un passage jusqu’à sa conscience. Une émotion apaisante. Un souffle, qui s’était emparé d’elle comme si elle n’avait pas vraiment respiré depuis dix ans.
Se pouvait-il que ce soit du soulagement ? Non, non, impossible, pensa-t-elle. Elle n’en avait pas le droit. Ce n’était pas respectueux. Ce n’était pas convenable.
Et pourtant, lorsque le corps d’Eileen avait manqué de s’affaler sur le sol, c’était parce que la tension générée par ce mariage insupportable l’avait quittée en un instant, la laissant seule affronter la gravité terrestre. Elle-même n’avait pas compris jusqu’à cet instant à quel point elle était malheureuse.
Alors oui, elle n’avait pas beaucoup pleuré. Juste assez pour donner le change, pour faire ce qu’on attendait d’elle, pour rassurer le lieutenant.
Dunkan se gara devant la bâtisse blanche. L’hôpital était construit tout en longueur, entouré de parterres de fleurs et de pelouses bien taillées. Une illusion d’ordre et de calme, pour circonscrire ce lieu où s’exprimait le chaos de la maladie. Il y avait peu d’étages, mais on suspectait que, sous l’asphalte de l’entrée, existaient de nombreux niveaux souterrains. En fait, on aurait dit les bâtiments de ces ambassades américaines de pays en guerre, édifiées sur le modèle des icebergs, car majoritairement sous le sol. Pour Eileen, le Sequoia Hospital, comme tous les hôpitaux, était le consulat du drame et de la maladie. Un endroit de malheur, où l’on parque cette dimension de la vie, pour se détourner de ce qu’on ne veut pas voir, et tenter de l’oublier.
En franchissant les portes vitrées des urgences, la jeune femme pénétrait en territoire ennemi. Elle avançait d’un pas glissant, ses pieds osant à peine quitter le sol. Lorsque Dunkan lui mit la main dans le dos, on aurait dit qu’il traînait une statue. Si elle avait pu, Eileen aurait volontiers marché à reculons.
Partout, elle croisait les regards tristes des collègues de Brad. Lorsqu’elle effleurait leurs mines abattues, ils tentaient de sourire, pour la rassurer, sans doute. Un seul évita les yeux bleus de la jeune femme. C’était Marcos Hoya, sergent, comme Brad, dont il avait été l’un des plus proches amis. Un type mignon, mais un peu simplet, venu du Texas, avec qui Eileen avait eu une brève relation extraconjugale quelques années auparavant.
Elle se souvenait du corps doux et chaud de cet hispano-américain, qui envoyait tous les mois les deux tiers de sa solde à son épouse, restée au Texas avec leurs enfants pour ne pas quitter sa famille, qui habitait l’autre rive du Rio Grande. Elle avait tellement adoré faire l’amour avec lui, qui la caressait au lieu de l’agripper, l’enlaçait au lieu de la posséder, l’écoutait au lieu de la brimer. Ces moments restaient délicieux dans l’esprit d’Eileen. Des oasis sucrées dans la mer acide de son existence. Elle avait mis fin à leur coucherie au bout de trois semaines, dévorée par la honte, effrayée aussi, à l’idée de ce que Brad pourrait tenter, s’il découvrait leur trahison.
Car c’était un homme était violent. Et même si son agressivité ne s’était manifestée physiquement que depuis quelques mois, Eileen avait toujours su de quoi son mari était capable.
Tout avait commencé par des phrases plus dures, tranchantes, conçues pour faire mal ; puis il y eut sa façon de lui faire l’amour, brutale, égoïste ; et enfin ce soir où, en plein acte, il lui avait subitement asséné une claque. Eileen avait bondi, hurlé, menacé. Il s’était platement excusé, prétextant un geste incontrôlé, un produit dérivé imprévu du plaisir qu’elle lui donnait. La jeune femme aurait dû comprendre tout de suite que cette association entre la force et la félicité était là pour durer, qu’elle venait seulement de vivre les prémices de ce qui l’attendait, le moment où l’eau se retire, annonçant un tsunami. Brad recommença, bien entendu, et ses regrets devinrent évasifs, à mesure qu’il entamait la capacité d’indignation de son épouse. Un jour, alors qu’elle s’était enfuie dans la salle de bain dès qu’il eut relâché son étreinte, pour prendre une douche avant de s’enduire des crèmes qui limiteraient les marques, il avait même suggéré, une clope au bec, qu’elle avait appris à aimer ça autant que lui. Sinon, pourquoi ne disait-elle plus rien ? Eileen, elle, comme toujours, était ailleurs. Hors de son corps, elle regardait du coin de la pièce cette brindille brune aux fesses et au cou rougis se frotter frénétiquement ; cette femme même plus belle, qui se négligeait pour essayer d’échapper au désir du prédateur, et qui tentait désespérément de laver les traces de son échec ; cet objet qui ne pouvait pas être elle.
Depuis peu, elle avait inauguré une nouvelle stratégie, soufflée par l’une de ses rares amies : donner le change. Lui montrer de quel bois elle pouvait, elle aussi, se chauffer. Le bol qu’elle lui avait balancé, ce matin-là, servait cet objectif. Mais Brad s’était seulement retourné vers elle, les yeux glacés, marmonnant furieusement qu’elle avait de la chance de ne pas avoir taché son uniforme. Et il était parti, laissant Eileen à son nettoyage et à ses larmes — sincères, celles-ci — car elle désespérait de trouver la moindre aspérité par laquelle prendre son mari.
Lorsqu’elle arriva aux soins intensifs, une petite troupe l’attendait. Plusieurs colosses en grande tenue, aux ventres en forme de barrique, dont la circonférence était proportionnelle au nombre d’étoiles qu’ils avaient sur le col, se retournèrent vers elle. Ils côtoyaient des médecins aux yeux fatigués. Discutant avec un grand type en pyjama et bonnet bleu foncé, qui ressemblait à un chirurgien, il y avait aussi une femme en pantalon et chemisier noirs, qui ne semblait appartenir à aucun des deux autres groupes.
Dunkan déposa Eileen au milieu de la meute, et elle fut immédiatement assaillie de paluches et de bises, accompagnées de paroles qu’elle n’écouta pas. Lorsque les policiers en eurent fini avec elle, on la livra aux médecins. La jeune femme retint de leur récit que le gilet de Brad n’avait pas arrêté les balles de l’AR-15, qui avaient donc lacéré le corps de son mari. Là, un des mammouths à étoiles revint à la charge, précisant que la brigade faisait de son mieux pour fournir un matériel apte à protéger ses patrouilleurs, mais qu’après tout, c’était du 5.56 millimètres, un truc de fou, des projectiles de la taille d’un doigt, conçus pour les zones de guerre ! Qu’il essayait de se doter de vestes lourdes, mais qu’elles coûtaient une fortune, deux-mille dollars, se rendait-elle compte ?
Sur un geste du médecin, le chef de la California Highway Patrol s’éclaircit la gorge pour garder une contenance, puis il bredouilla « En tous cas, cela n’arrivera plus jamais », sans qu’on puisse savoir s’il s’agissait d’une promesse ou d’une prière, et s’éloigna de nouveau.
Le discours médical reprit alors. Eileen comprit que l’un des poumons de Brad avait été perforé et devrait être enlevé au plus vite, que son cœur avait été épuisé par l’hémorragie, que son époux n’avait plus de foie ni d’estomac, plus vraiment de reins non plus… Bref, on pouvait l’opérer, tenter le tout pour le tout, essayer des greffes, mais il ne fallait pas s’attendre à grand chose, Brad mourrait selon toute probabilité pendant l’intervention.
Eileen vivait la scène à l’extérieur de son corps. Et, de là où elle était, son esprit pouvait enfin souffler. Son calvaire était presque fini. Il ne lui restait plus qu’à accompagner les derniers instants de son mari, permettre à toutes les huiles de la police de se rassurer en venant lui faire son cinéma, et elle serait libre. Libre de vivre sans peur et de se reconstruire.
C’est alors qu’elle vit la femme en noir s’approcher d’elle. Elle avait été rejointe par un homme en costume qu’elle n’avait pas aperçu jusqu’alors, qu’elle reconnut pour être le gouverneur de l’état de Californie.
— Madame Gawayn, je suis de tout cœur avec vous, dit-il en lui prenant la main. Ce qui est arrivé à votre mari est une horreur, une maladie chronique de notre pays, à laquelle nous devons mettre fin. Je vous assure que je ferai tout pour que cela ne se reproduise pas.
Eileen répondit par un hochement de tête distrait, car elle ne pouvait pas décoller ses yeux de celle qui se tenait derrière lui. Cette femme était jeune, peut-être même pas la quarantaine, mais elle avait déjà une telle maturité dans le regard, un éclat qui captait l’attention, soutenu par un visage affable. Elle souriait à Eileen, voila ce qui l’avait fascinée. C’était la seule personne de la pièce qui n’arborait pas la mine grave de rigueur. Lorsque le gouverneur lui fit un signe, elle s’avança franchement, comme s’il lui avait fallu une infinie patience pour attendre son tour.
— Eileen… pardon, se reprit-elle, je peux vous appeler Eileen ?
— Oui.
— Eileen, mon nom est Terrence Page, je suis la fondatrice et dirigeante de Cortome Biotech.
— Terrence ?
— Oui, sourit-elle. Mon père voulait un garçon.
Elle eut une manière de hausser les épaules qui amusa Eileen. Elle était si belle, si fraîche, si droite, et sans doute si intelligente. Tout ce que la femme de Brad n’était plus.
— Cor… Cortome ? murmura Eileen.
— Biotech, oui, c’est normal que cela ne vous dise rien, nous ne souhaitons pas être trop connus. Enfin, pas encore. Je suis venue vous annoncer que nous avons un programme de recherches très avancé avec l’hôpital de Stanford. Ce n’est pas très loin d’ici, nous pourrions y être en quelques minutes d’hélico. J’en ai un prêt sur le toit.
Le gouverneur lui effleura subtilement le bras et la femme en noir comprit qu’elle s’égarait. Elle se passa la main dans les cheveux.
— Bref, reprit-elle en contenant mal son excitation, Eileen, je crois que je peux sauver votre mari !
Pour aller plus loin :
Vous pouvez acheter le roman (en eBook ou Broché) ici :
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Dans tous les cas, merci de m’avoir lu !
Alex
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